Comment utiliser les analyses boursières (juin 2012)

Bien que souvent décrié, le travail des analystes des firmes de courtage peut être très utile. Voici quelques idées personnelles sur la façon dont un investisseur doit utiliser leurs analyses et les précautions qu’il doit prendre.

1. Les prix cibles sont là pour la forme

Entendons-nous bien, personne n’est capable de prédire le prix qu’aura une action dans douze mois. Même si un analyste comprend très bien une société et peut prédire ses profits à la cenne près, il lui est impossible de prédire le multiple que le marché accordera à ces profits dans douze mois. Ce multiple sera élevé si le marché est euphorique ou bas si le marché est déprimé. Prédire l’humeur du marché pour la semaine prochaine est difficile, imaginez dans un an… S’il n’en tenait qu’à eux, les analystes ne donneraient pas de prix cibles. S’ils le font, c’est parce que les clients des firmes de courtage en demandent.

2. Suivre son analyste comme ont suit un titre

Comme dans tout métier, la profession d’analyste boursier comprend des gens très compétents, des travailleurs honnêtes qui font leur gros possible et des individus totalement incompétents. Il faut donc absolument éviter d’acheter un titre sur la base d’une recommandation d’un analyste dont on ne connait ni d’Ève, ni d’Adam. La meilleure chose à faire est d’observer les recommandations d’un analyste pendant quelques trimestres. On peut ainsi vérifier si ses opinions/prédictions sont relativement justes ou complètement erronées. Si sa “moyenne au bâton” est bonne, on peut ensuite accorder du poids à ses opinions. Il faut bien sûr être conscient que personne n’est parfait et que le meilleur des analystes peut aussi se tromper.

3. Privilégier l’esprit critique

Avant de lire une analyse sur une société, l’investisseur doit être familier avec le “discours de sa direction”. Il peut ainsi déterminer si l’analyste ne fait que répéter les propos de la direction (ça arrive souvent) ou s’il prend ses distances vis-à-vis ce discours. Selon moi, il est évident qu’il faut accorder plus de poids à un analyste qui fait preuve d’esprit critique et avoir une grande méfiance envers ceux qui ne font que relayer les propos optimistes de la direction.

4. Se méfier des conflits d’intérêts potentiels

Les firmes de courtage font une large part de leur profit en aidant les sociétés à faire des appels publics à l’épargne. Le département de recherche d’une firme de courtage peut donc subir des pressions pour “être gentil” avec les sociétés qui ont recours aux marchés pour se financer. Il y a peu à craindre de ce côté si le titre qui vous intéresse n’a pas fait d’appel public à l’épargne depuis des lunes (par exemple: Home Capital Group). Il faut par contre être très prudent avec les titres qui ont recours régulièrement aux marchés pour se capitaliser (par exemple: Fortress Paper). Ce type de titres sont de très bons clients des firmes de courtage et cette situation pourrait leur valoir des opinions plus positives qu’ils ne le méritent de la part de ces firmes.

De l’intérêt pour un forum public sur la Bourse ? (1er août 2011)

Le blogue est un véhicule intéressant pour partager des idées d’investissements. Il faut par contre admettre que c’est un outil qui a ses limites et que le partage d’idée est plutôt à sens unique. Et ce n’est pas vraiment la faute des lecteurs, c’est plutôt le concept du blogue qui a tendance à tout faire graviter autour des idées du blogueur. C’est encore pire avec facebook, twitter et autres merveilles technologiques du je-me-moi 2.0.

J’avoue éprouver présentement une petite nostalgie pour une relique du web 1.0 : le bon vieux forum de discussions !

Mon idée serait de créer un forum francophone spécialisé dans l’analyse fondamentale de titres canadiens et américains. Le forum aurait une interface moderne et simple d’utilisation.  Il nous permettrait d’avoir des discussions plus approfondies et échelonnées sur une plus longue période dans le temps sur nos titres favoris (chose qu’un article de blogue ne permet pas).

Le succès d’un tel forum repose évidemment sur la participation des membres. De 2000 à 2008, j’ai été un contributeur régulier au forum “Les disciples de Buffett” sur canoe argent (webfin). J’ai délaissé ce forum en raison justement de l’absence de participation (et de l’interface désuète) pour surfer sur la vague des blogues.  Je me demande donc s’il y a un réel intérêt pour un forum dédié à l’analyse fondamentale ou si c’est moi qui suis simplement nostalgique d’une époque révolue…

Bref, je serais prêt à créer le forum à condition qu’il y ait un intérêt suffisant. J’invite donc tous les lecteurs de ce blogue qui sont intéressés par un tel forum à me faire part de leur intérêt dans la section commentaire ci-dessous. J’attends vos réponses…

The Boyd Group Income Fund (BYD.un) (juillet 2011)

Voici une contribution spéciale d’un lecteur du blogue, Martin Veillette, qui nous fait découvrir un titre très intéressant. Merci Martin de sortir ce blogue de sa léthargie !

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Il s’agit du plus important propriétaire de centres de réparation automobiles après collisions en Amérique du Nord avec 164 points de service répartis dans 4 provinces canadiennes et 13 États américains.

L’entreprise est en pleine expansion, principalement aux États-Unis, et y parvient principalement par acquisitions. Elle y est présente depuis 1999. Les ventes des sites américains représentent plus de 75% des ventes totales de l’entreprise.

L’entreprise estime le marché nord-américain de la réparation après collisions entre 30 et 40 milliards de dollars par année. Les concessionnaires automobiles occuperaient de 25 à 30% du marché et le reste serait très fragmenté. L’entreprise estime que des groupes avec sites multiples n’auraient que 10% du marché.

Il y a donc d’importantes possibilités d’expansion dans un marché fragmenté. Les dirigeants ont jusqu’à maintenant montré leur doigté avec les nombreuses acquisitions effectuées et les hausses de rentabilité observées suite à leur intégration.

En devenant un joueur majeur dans l’industrie, la compagnie se bâtit une meilleure position face aux compagnies d’assurance avec qui elle doit négocier des ententes de règlements après accidents.

Le titre est peu suivi et la capitalisation boursière est de seulement 150M$. Bien que les comparatifs soient souvent boiteux étant donné que leurs marchés respectifs sont bien différents, je pourrais comparer les possibilités de croissance de Boyd Group avec MTY Food et même Alimentation Couche-Tard à un certain moment de son évolution. De plus, vous obtenez un dividende d’environ 3%.

Cette industrie est relativement stable, les collisions automobiles sont là pour rester !!

Comme dans toutes les entreprises qui croissent principalement par acquisitions, tout repose sur l’équipe de gestion et à son habilité à acquérir de belles entreprises et à payer un prix raisonnable. Avec le temps, l’entreprise aura aussi plus de difficulté à faire l’achat de plusieurs unités dans une même transaction étant donné le peu de joueurs majeurs dans l’industrie.

Jusqu’à maintenant, difficile de questionner le jugement des dirigeants quant à leur plan d’expansion. Les profits par action ont quadruplé au cours des 3 dernières années !!

Quelques chiffres sur le groupe BMTC (mai 2011)

Le groupe BMTC en 2000…

Prix de l’action: 2$ Revenus: 589 millions   Profits: 21 millions  Marge de profits : 3,6%

Le groupe BMTC en 2010…

Prix de l’action: 20$ Revenus: 823 millions   Profits: 75 millions  Marge de profits : 9,1%

Le détaillant de meubles BMTC est une grande vedette boursière au Québec. Le rendement annualisé de 25% de son action dans la dernière décennie y est pour quelque chose. Le titre est régulièrement mentionné sur différents blogues boursiers. On explique souvent la performance du titre par la politique de rachats d’actions de la société. Selon moi, cette emphase sur les rachats d’actions porte ombrage à un aspect encore plus important du succès de la compagnie : l’impressionnante amélioration de sa marge de profits au fil des années.

En regardant les chiffres ci-haut, on voit que les revenus ont connu une progression modeste de 3,5% par année dans la dernière décennie. On peut difficilement qualifier BMTC de société à forte croissance. L’essentiel de la progression de son bénéfice net (14% annualisé) provient de l’amélioration de sa marge de profits. En conservant la marge net de l’an 2000, on obtient des profits de 30 millions pour 2010 et un titre à 9$ (avec un ratio c/b de 14).

Bien entendu, les rachats d’actions ont aussi eu un grand impact dans le succès du titre. Je crois que l’on peut expliquer la différence entre le rendement du titre (25%) et la croissance des profits (14%) par ceux-ci. On peut donc affirmer que le succès boursier de BMTC a reposé sur deux grands piliers : amélioration des marges et rachats d’actions. BMTC est donc un animal assez unique (pour ne pas dire étrange…), car la plupart des grands succès boursiers reposent plutôt sur une forte croissance des revenus.

Regardons maintenant vers le futur. On peut penser que l’essentiel de l’amélioration de ses marges de profits a été réalisé. Il y a une limite aux marges de profits dans un secteur aussi concurrentiel (son concurrent Leon à une marge de 7%) . La croissance des revenus, quant à elle, risque d’être encore plus faible, car BMTC à pas mal saturé le marché québécois. Ne reste plus que le retour de capital sous forme de rachats d’actions comme vecteur de croissance…

Je ne veux pas sous-estimer BMTC et je sais que le titre à de nombreux fans. Mais il faut être réaliste… Le rendement annuel du détaillant de meubles pour la prochaine décennie risque d’être plus près de 10% que de 25%.

Absolute Software post-mortem (mars 2011)

Les lecteurs de longue date se rappellent peut-être de la société Absolute Software (ABT – TSX). Pendant longtemps, ce titre fut l’un de mes favoris et l’objet de nombreux articles sur ce blogue. Le courriel récent d’un lecteur me demandant mon opinion sur la situation actuelle de la firme de Vancouver m’a fait réaliser que l’heure du ”blogue post-mortem” avait sonné. Car, je dois l’admettre, ce titre fut pour moi un échec total sur le plan boursier…

Absolute Software vend un système de repérage pour ordinateurs portables (laptop). Le principe est le même que les systèmes de repérage de voitures et vise à protéger votre laptop contre le vol. La société a connu un succès remarquable de 2006 à 2008 grâce à des ententes de distribution avec de grandes compagnies comme Dell, Norton et McAfee. Le titre décupla en Bourse passant de 2$ à près de 20$.

C’est à ce moment qu’un génial blogueur décida d’acheter le titre, croyant qu’il avait entre les mains une société au potentiel formidable (le prochain Research In Motion en quelque sorte). Après tout, la société offrait une solution unique dans le domaine florissant de la protection des données personnelles. Mal lui en prit, la forte croissance d’Absolute Software n’a pas seulement ralenti après 2008; elle s’est complètement évaporée ! Le prix de l’action fut aussi partie prenante du processus d’évaporation; il végète maintenant sous les 4$.

Fin 2010, les ventes sont toujours au même niveau qu’en 2007. Et ce, en dépit du fait que la société ait plus que doublé son équipe de vente. L’augmentation des dépenses en salaires combinées à la stagnation des revenus à fortement diminué les free cash flows générés par l’entreprise. Selon moi, leur technologie ne se vend tout simplement plus… La solution d’Absolute a été conçue pour une époque ou les laptops coutaient 2000$ et contenaient toutes les données personnelles de leurs utilisateurs. Cette époque est révolue et l’informatique progresse maintenant rapidement vers les smartphones, les tablettes à 500$ et les données résidant sur des serveurs (cloud computing).

Côté concurrence, Intel a acquis McAfee et compte intégrer des fonctions de sécurité semblables à celles proposées par Absolute directement dans ses processeurs. Avoir Intel comme concurrent est probablement le pire cauchemar de n’importe quelle société techno ! Il n’est donc pas surprenant qu’Absolute tente maintenant de se diversifier dans la gestion de parc informatique. Par contre, la concurrence dans ce secteur est aussi très féroce et les chances de succès d’Absolute comme nouvel arrivant m’apparaissent assez minces.

Ma pire erreur avec ce titre fut d’avoir ignoré les signaux reliés aux problèmes de croissance de la société (présent dès 2008) alors que ma décision d’y investir reposait essentiellement sur un scénario de très forte croissance des revenus. La récession de 2008-2010 est venue embrouiller les cartes, car elle était un bouc-émissaire facile pour expliquer les mauvais résultats et masquait les problèmes internes réels de la société. Morale de l’histoire : payer une forte prime pour des scénarios de croissance hypothétiques est un jeu dangereux. L’équation risque/rendement est beaucoup plus favorable lorsque le potentiel de croissance de l’entreprise n’est pas encore reconnu par le marché.

Visite guidée (février 2011)

Dans mon dernier blogue, j’avais promis de présenter une petite société chinoise qui pourrait ne pas être une fraude. Eh bien, j’ai complètement changé d’idée à son sujet ! Des recherches plus approfondies me font maintenant croire que le risque de fraude est très élevé et qu’il serait irresponsable que je la présente sur ce blogue sous une lumière positive.

De plus, Rick Pearson, l’investisseur américain que je croyais capable de séparer le bon grain de l’ivraie s’est révélé être un “promoteur” de titres douteux dénué de tout scrupule. Le vidéo ci-dessous nous donne un exemple de son travail avec la papetière chinoise Orient Paper. Ce titre, durement attaqué par les vendeurs à découvert, a atteint une capitalisation boursière de 200 millions US au sommet de sa gloire.

Dans ce vidéo, Pearson visite l’usine tout en faisant un commentaire ultrapositif sur ses perspectives financières en voix off. C’est carrément loufoque, car on y remarque très bien la désuétude des machines, le désordre de l’usine, les madames qui font semblant de “brasser” du papier sur des tables, le papier recyclé que l’usine transforme (supposément) entreposé à l’extérieur ( et donc exposé aux intempéries), et j’en passe…

Je ne suis pas un expert en pâtes et papiers, mais il me semble invraisemblable qu’une telle usine puisse avoir une grande valeur. À titre de comparaison, voici un vidéo décrivant une usine de la société Stora Enso en Belgique :

Le plus incroyable, c’est que Pearson a réalisé son vidéo pour le compte du site The Street.com. Un site financier  jouissant d’une certaine crédibilité aux États-Unis. Mon opinion sur le sujet est maintenant radicale : mieux vaut ne pas toucher aux petites capitalisations chinoises sous aucun prétexte !

Devant la multiplication des allégations de fraude, il est fort possible que les autorités boursières américaines interrompent la négociation de plusieurs de ces titres pour une durée indéterminée. C’est un risque considérable auquel s’expose les amateurs de petites capitalisations chinoises. On peut aussi se poser la question suivante : si la compagnie est aussi exceptionnelle qu’elle le prétend, pourquoi a-t-elle choisie le chemin tortueux de la prise de contrôle inversée plutôt que de simplement s’inscrire “à la régulière” sur une bourse chinoise ?

Le rapport dévastateur de Muddy Water Research sur Orient Paper

Ombres chinoises (février 2011)

Un grand débat fait rage actuellement autour des petites capitalisations chinoises inscrites sur les bourses américaines. D’un côté, plusieurs vendeurs à découvert (short-sellers) les dénoncent comme étant massivement frauduleuses. De l’autre, de nombreux investisseurs continuent de croire au potentiel de croissance exceptionnel de ces petites sociétés dans l’immense marché chinois. Les amateurs de petites capitalisations sont déchirés entre la peur de manquer une formidable occasion d’investissement et celle de perdre beaucoup d’argent en misant sur des sociétés bidon. Qui faut-il croire ? Vaut-il la peine de s’intéresser à ce secteur ? Tentons d’y voir plus clair…

Tout d’abord, il faut savoir que la controverse ne touche pas l’ensemble des sociétés chinoises, mais seulement celles qui ont accédé aux bourses américaines par le biais d’une prise de contrôle inversée (reverse take-over). Voici comment la manoeuvre fonctionne :

1. La société chinoise achète une société américaine inactive, mais inscrite sur une bourse (généralement une bourse de second ordre comme l’AMEX)

2. La compagnie est renommée avec un nom “sexy” contenant habituellement le mot “China”

3. La compagnie se bâtit une crédibilité sur le marché américain et accède à une bourse de premier ordre (généralement le NASDAQ)

4. La société “vend” son histoire à une banque d’investissement, ses analystes en font la promotion et le titre explose à la hausse…

L’avantage d’une telle opération est qu’elle est rapide (moins de trois mois), peu couteuse (moins de 1 million en frais), et permet d’éviter les exigences réglementaires liées à un premier appel public à l’épargne (IPO). Il faut donc comprendre que les petites sociétés chinoises qui accèdent au NASDAQ par ce chemin sont celles qui ne satisfont pas les critères d’inscription des bourses chinoises de Shanghai et Shenzhen. Il n’est donc pas étonnant d’y retrouver un nombre élevé d’entreprises douteuses.

Il est extrêmement difficile pour un investisseur occidental de suivre les activités d’une société opérant uniquement en Chine. Il lui faut avoir une confiance aveugle dans la documentation anglaise publiée par la société. Certains investisseurs américains ont réussi à débusquer des fraudes en découvrant un écart important entre les bilans financiers soumis à la SEC américaine et ceux soumis à la SAIC chinoise (l’équivalent chinois de la SEC). Les chiffres soumis à la SAIC par certaines sociétés chinoises étaient beaucoup plus modestes que ceux soumis à la SEC pour une même année !

Devant une telle situation, l’investisseur raisonnable et prudent devrait passer son tour. Le niveau de risque est simplement trop grand. Néanmoins, plusieurs investisseurs tentent de départager le bon grain de l’ivraie en matière de petites capitalisations chinoises. Je vous en présente un ainsi qu’une société qui pourrait ne pas être une fraude dans un prochain blogue.

À suivre…

Source : You Will Regret This Investment, Bloomberg Businessweek, Semaine du 17-23 janvier 2011

L’argent fait le bonheur (janvier 2011)

L’argent fait-il le bonheur ? Oui.

J’admets qu’il s’agit d’une réponse volontairement provocatrice et dénuée de rectitude politique. Ma réponse plus nuancée à cette question serait plutôt : avoir un rapport sain avec l’argent peut contribuer significativement au bonheur personnel d’un individu. Mais qu’est-ce qu’un rapport sain à l’argent ? Selon moi, on peut diviser les individus en trois groupes en fonction de leur rapport à l’argent : les dépensiers, les avares et les équilibrés. L’appartenance à l’un de ces groupes dépend davantage de nos valeurs personnelles et de nos attributs psychologiques que de notre éducation financière.

Voici mes définitions bien personnelles de ces groupes :

Les dépensiers

Gens vivant au-dessus de leurs moyens. Endettés jusqu’au cou. Ces individus se valorisent par la consommation. Le problème n’est pas nécessairement qu’ils ignorent le taux d’intérêt de leurs cartes de crédit ou les vertus de l’épargne. C’est plutôt que leur matérialisme ostentatoire (c.-à-d. auto de luxe, grosse maison, etc.) les valorise davantage que des finances personnelles bien en ordre. Ils consomment pour combler un vide existentiel ou pour se donner l’illusion qu’ils appartiennent à une classe sociale supérieure. Je consomme donc je suis.

Les avares

Champions mondiaux de l’épargne. Gens vivant nettement sous leurs moyens. Ils se valorisent principalement par l’accumulation du plus gros compte de banque possible. Ils sont prêts à faire subir des privations indues à leur entourage pour atteindre cet objectif (voir la biographie Warren E. Buffett pour des exemples). Faire une dépense non essentielle leur cause une douleur psychologique. Quoi qu’ils en disent, l’action d’épargner est moins une habitude saine qu’une façon pour eux d’éviter la douleur psychique liée à une dépense. Ils n’ont évidemment aucun problème… d’argent. Ils ont par contre l’un des plus vilains défauts de la nature humaine : l’avarice.

Les équilibrés

Ces gens appliquent la célèbre maxime de Socrate : “Connais-toi, toi-même”. Fort de cette connaissance, ils se valorisent par l’expression de leur créativité personnelle à travers des projets centrés sur leurs goûts et intérêts. Ils ne sont pas à la poursuite d’un modèle de réussite stéréotypé (devenir millionnaire, être célèbre, avoir une grosse maison, etc.) . Ils vivent à l’intérieur de leurs moyens par la force des choses, car la consommation à outrance est sans but pour eux. L’argent est un outil pour réaliser leurs projets et non une fin en soi.

En conclusion, je crois que notre rapport à l’argent est essentiellement conditionné par notre personnalité et nos motivations psychologiques profondes. C’est pourquoi les discours vertueux et angéliques sur l’épargne qu’on entend dans les médias demeurent la plupart du temps sans effet. Changer son rapport à l’argent signifie avant tout changer comme individu. C’est l’oeuvre de toute une vie.

Berkshire Hathaway, la pire erreur de Warren Buffett (décembre 2010)

Nous sommes en 1962. Warren Buffett se fait présenter une idée d’investissement par son ami Dan Cowin. Celui-ci a découvert un fabricant de textiles de New Bedford au Massachusetts qui se vend en Bourse à un fort escompte par rapport à sa valeur intrinsèque. Le titre de Berkshire Hathaway se négocie aux alentours de 7,50$ alors que sa valeur intrinsèque est près de 20$. Buffett aime l’idée et commence à accumuler des actions.

Berkshire Hathaway est une entreprise en déclin qui vient de connaître neuf années consécutives de pertes. Elle est dirigée par Seabury Stanton, un homme aristocratique qui se croit investi de la mission de sauver l’industrie du textile en Nouvelle-Angleterre. Stanton utilise une partie des cash flows de l’entreprise pour effectuer des rachats d’actions sur une base régulière. La stratégie de Buffett consiste à accumuler des actions dans le but de les revendre à un prix plus élevé à Stanton lors de sa prochaine opération de rachat.

Stanton devient très inquiet suite aux achats de Buffett et croit qu’une tentative de prise de contrôle de sa société est imminente. Il rencontre personnellement Buffett pour s’enquérir de ses intentions. Celui-ci lui mentionne qu’il serait prêt à céder ses actions lors de la prochaine opération de rachat si celle-ci s’effectuait à un prix de 11,50$. Quelques jours plus tard, Berkshire Hathaway annonce une offre publique de rachat de ses propres actions à 11 3/8 $.

Buffett est absolument furieux ! Il trouve inacceptable que Stanton cherche à lui soutirer 12,5 cents alors qu’il avait une entente verbale avec lui pour un prix de 11,50$. Pourtant, Buffett utilisait lui-même ce type de méthodes lorsqu’il négociait l’achat d’actions de petites sociétés peu transigées sur les pink sheets. Buffett est tellement hors de lui qu’il décide de passer du rôle de vendeur à celui d’acheteur : le gestionnaire d’Omaha veut maintenant prendre le contrôle de Berkshire Hathaway !

Dans l’année qui suivit, Buffett réussit à devenir l’actionnaire majoritaire de la société de New Bedford. Vaincu, Seabury Stanton remit sa démission et Buffett devint président. Il transforma rapidement la société en véhicule pour ses investissements tout en tentant de maintenir en vie les activités de fabrication de textile. Peine perdue, Buffett dut se résoudre à mettre un terme définitif aux opérations textiles de Berkshire Hathaway en 1985.

L’achat de Berkshire Hathaway fut probablement la décision la plus irrationnelle de toute la carrière de Warren Buffett. De son propre aveu, il affirme qu’il se serait mieux porté s’il n’avait jamais entendu parlé de Berkshire Hathaway !

Source: The Snowball, chapitre 27

Buffett 1956-1968 : les années du partnership (novembre 2010)

Bien avant l’acquisition de Berkshire Hathaway, Warren Buffett était gestionnaire d’un partnership d’investissement. Les membres du partnership confiaient un certain montant d’argent à Buffett que celui-ci pouvait investir à sa guise. Il n’était même pas tenu de révéler la nature de ses investissements à ses “partenaires”. De nos jours, ce type de structure s’appelle tout bonnement un hedge fund. Buffett publiait une lettre semi-annuelle à ses partenaires pour leur donner un compte rendu des résultats. À l’image des lettres annuelles de Berkshire Hathaway, ces lettres sont un mélange de citations amusantes et de gestion des attentes, mais demeurent assez opaques quant à ses méthodes véritables d’investissement.

Buffett y décris néanmoins les quatre types d’opération d’investissement qu’il effectue pour le partnership :

1. Achat d’actions sous-évaluées pour un acheteur visant à privatiser la compagnie

Il s’agit d’actions nettement sous-évaluées sur la base d’une analyse financière minutieuse. Ces titres sont de petites sociétés ignorées par le marché que ne dédaignerait pas Benjamin Graham. La principale qualité de ces sociétés est donc leur prix d’aubaine. Elles se vendent à un prix inférieur à ce qu’un acheteur voulant privatiser la compagnie serait prêt à payer. Buffett achète ce type d’action, attend qu’un catalyseur fasse rebondir le titre et le revend ensuite à sa “juste valeur”. Si le catalyseur externe ne se présente pas, Buffett a toujours l’option de prendre le contrôle de la société et d’agir lui-même comme catalyseur pour en débloquer la valeur (voir no 4).

2. Achat d’actions sous-évaluées par rapport à des titres comparables

À qualité égale, il s’agit de titres ayant une évaluation boursière faible en comparaison de sociétés du même type. Par exemple, la banque ABC se vend à 14 fois les profits alors que la banque XYZ à un ratio c\b de 9. Ces actions sont des aubaines boursières au sens plus classique du terme. Ce sont aussi des sociétés de plus grande taille que la première catégorie. Un bon exemple de ce type d’opération fut son célèbre achat d’American Express. Buffett profita du “salad oil scandal” pour investir une grande partie du partnership en actions d’American Express à un prix très alléchant. Il fit le pari que le scandale n’affecterait pas de façon durable les opérations d’American Express et les résultats furent fabuleux.

3. Arbitrages (workouts)

Buffett aime beaucoup les opérations d’arbitrage. Il les voit comme une façon relativement sûre de faire de l’argent peu importe la direction générale du marché. Les années 60 sont fertiles en fusion/acquisition dans le domaine pétrolier et Buffett exerce ses talents d’arbitragiste sur bon nombre de ces transactions. Il suit ainsi les traces de son maître à penser Benjamin Graham, qui, à une autre époque, affectionnait les opérations d’arbitrage sur les restructurations de sociétés de chemins de fer.

4. Position de contrôle

Dès les débuts de son partnership, Buffett à l’audace de prendre le contrôle de petites compagnies qu’il juge nettement sous-évaluées en Bourse. Sa première prise de contrôle à lieu en 1958 et concerne la société Sandborn Map. Cette firme possédait un portefeuille d’investissements supérieur à sa valeur boursière et Buffett força le conseil d’administration à le distribuer aux actionnaires. Trente-cinq ans auparavant, Benjamin Graham avait mené une opération semblable avec la société Northern Pipeline.

Le fabricant d’éoliennes Dempster Mills fut sa deuxième prise de contrôle. Il restructura financièrement la société, générant un gros dividende pour les actionnaires, mais devenant au passage l’ennemi public numéro un de la ville… Le fabricant de textiles Berkshire Hathaway fut probablement sa prise de contrôle la plus célèbre. Tout comme Sandborne Map et Dempster Mills, son acquisition fut d’abord une opération de catégorie 1 et se transforma progressivement en position de contrôle.

En conclusion, ce blogue n’est évidemment qu’un résumé partiel des méthodes de Buffett à l’époque de son partnership. L’examen plus en détails de cette période nous révélerait probablement toute la complexité et la sophistication des méthodes du vieux renard d’Omaha. Il est clair que les méthodes 1, 3 et 4 ne sont pas à la portée de la plupart des investisseurs. Buffett à toujours été un financier brillant et sophistiqué à des années-lumière de l’image simpliste “du gars qui fait du buy and hold avec des blue chips” qu’en donne les médias financiers. Si c’était véritablement facile d’investir comme Warren Buffett; nous serions tous déjà milliardaires !

Les lettres de Warren Buffett à ses partenaires (1959-1968)